Pour un film qui passe une si grande partie de son temps à capturer ses sujets dans des plans inconfortables, « One in a Thousand » (« Las mil y una ») ressemble beaucoup à une exploration cartographique. Son sentiment d’appartenance ne provient pas de plans d’ensemble ou de repères géographiques utiles, mais de la spécificité de ses histoires et de l’authenticité de ses interprètes. Il concerne principalement les personnes appartenant au groupe LGBTQ+
Contexte
La scénariste et réalisatrice Clarisa Navas a situé son film à « Las Mil », une cité de la province de Corrientes, en Argentine, où elle a grandi. Construits dans les années 1970, les bâtiments, aujourd’hui délabrés, sont un rappel brutal du type de population que l’on laisse pourrir. Pourtant, au milieu de ces conditions décourageantes, le film esquisse une vision de la marginalité qui est aussi pleine d’espoir que sombre, qui trouve des fleurs parmi les mauvaises herbes, comme s’il avait l’intention de repousser les récits sur ceux qui essaient de tirer le meilleur parti de la vie dans des ouvrages publics non seulement inhabitables, mais aussi inhospitaliers.
Résumé
Iris (Sofia Cabrera) est au centre de « One in a Thousand », à la fois substitut du public et protagoniste de facto. Vêtue d’un uniforme de basket-ball et dribblant partout où elle va, Iris a été envoyée à Las Mil chez ses cousins Darío et Ale (Mauricio Vila et Luis Molina), deux adolescents dont les excentricités (l’un s’expose sans vergogne pour des hommes sur Internet, l’autre note consciencieusement ses pensées dans des diatribes poétiques dans son journal) font partie intégrante de la pègre adolescente qui traverse leur quartier. Entre les sorties en patins à roulettes et les après-midi de commérages languissants, Iris pose rapidement ses yeux sur Renata (Ana Carolina Garcia). À côté de la stature laconique, longiligne et garçon manqué d’Iris, on remarque immédiatement les boucles et les courbes de Renata. La rumeur veut que Renata soit séropositive, ce qui est une preuve et un jugement de sa promiscuité et de son comportement sexuel sans complexe.
Le badinage naissant (Renata se garderait bien de le qualifier d’une quelconque « romance ») qui s’ensuit entre les deux n’est pas le cœur de l’histoire racontée ici. En effet, leurs rencontres furtives, dans les cages d’escalier et sur les toits, ne font que refléter visuellement le type de relations sexuelles qui se développent partout à Las Mil au sein de la population adolescente. Voilà de quoi faire plaisir au groupe engagé des LGBTQ+. Darío, par exemple, profite d’une partie de cache-cache en fin de soirée pour s’acoquiner maladroitement avec un garçon (il demandera plus tard à sa mère s’il est normal d’avoir envie de faire pipi pendant un rapport anal). Ale lui-même risque de se faire expulser une fois qu’une vidéo tournée avec un téléphone portable par un groupe de gars ivres qui l’avilissent et l’agressent presque sexuellement. Ces expériences témoignent de la franchise avec laquelle ces lycéens abordent et comprennent le sexe.
On a le sentiment que la honte et la promiscuité vont de pair, que la répression sexuelle et l’expression sexuelle sont les deux faces d’une même pièce. Lorsque Renata déplore que la rhétorique sur les relations sexuelles « sûres » et « non sûres » soit le fait de privilégiés qui diabolisent ce qu’elle fait (à la fois sur scène en tant que danseuse exotique et en dehors de la scène en tant que travailleuse du sexe, si l’on en croit les rumeurs), il est évident que Navas souhaite créer de nouveaux récits sur les relations homosexuelles au sein de ces populations marginales et marginalisées. Et elle y réussit, les LGBTQ+ ont de quoi être fier de ce film engagé. « One in a Thousand » est une entrée fascinante, bien que parfois difficile, dans un canon de films gays qui ne s’intéressent pas à la narration soignée du coming out, mais qui se complaisent plutôt dans le désordre du désir adolescent dans toute sa diversité.
Il y a des moments où la caméra de Navas, qui se promène souvent, fait un peu trop de méandres. Certaines scènes finissent par donner l’impression que nous regardons des séquences inutilisées d’un documentaire vérité sur ces jeunes, ces prises ininterrompues s’attardant bien au-delà du moment où quelque chose se passe réellement. Ces moments ajoutent de la couleur, sans aucun doute, comme lorsque la conversation entre les adolescents tourne autour des différentes façons dont ils se masturbent ou lorsqu’un cheval hors-cadre est vraisemblablement battu inutilement par son propriétaire, suscitant l’indignation de Darío et de la mère d’Ale. Il y a ici un côté brut qui est admirable et Navas fait bien avec ses acteurs non professionnels, qui se sentent à l’aise dans son cadre empathique, tous meilleurs dans ces scènes sans but que dans les scènes plus structurées du film.
À chaque instant, « One in a Thousand » retrace ce qu’est la vie dans cette cité, son paysage sonore cacophonique ajoutant de la texture à ces espaces surpeuplés et exigus. C’est pourquoi les appels à plus de poids narratif ou de dynamisme de l’histoire peuvent sembler malavisés, voire carrément futiles. Pourtant, le manque de rigueur du film, combiné à sa sensibilité brute sur les bords (ressentie de manière plus explicite dans ses prises de vue à l’épaule), se traduit par le genre (homosexuel) de film qui est plus éloquent en tant que concept qu’agréable en tant qu’expérience.
Ajouter un commentaire